Les enfants de Jehan de Lencquesaing et d’Anne Masson

Homme de la Renaissance, Jehan de Lencquesaing pense certainement qu’il existe une correspondance entre l’univers et l’homme, à la suite d’Origène, Père de l’Église, fondateur de l’exégèse biblique : « Ne t’étonne pas de m’entendre dire que tout cela est en toi ; comprends que tu es un autre monde en petit (“in parvo”) et qu’en toi il y a un soleil, il y a une lune, il y a des étoiles. » (Homélies sur le Lévitique).

Cette relation entre macro et microcosme passe à travers les planètes et les signes du Zodiaque et s’exprime sous une forme astrologique. Le philosophe humaniste Marsile Ficin, mort à l’orée du siècle de Jehan de Lencquesaing, considère que les dispositions humaines sont liées aux planètes. Selon lui, médecine et astrologie sont liés : les remèdes ne sont véritablement actifs qu’à la condition d’être pris sous l’ascendance de l’astre favorable à l’organe lésé.

utôt qu’une contrainte, le destin est une tâche dont l’accomplissement est confié à l’initiative subjective et à la responsabilité morale, qui peuvent trouver un soutien précieux dans le diagnostic astrologique bien compris. Le ciel ne fournit donc jamais que des signes, qui se réfractent dans le ciel intérieur ; les astres indiquent, ils ne causent pas.

Il s’agit plutôt d’une cryptographie de prédispositions et de talents, dont la réalisation est confiée à l’initiative subjective et à la responsabilité morale.

, ce qui peut aussi expliquer l’importance qu’accorde Jehan de Lencquesaing dans la consignation précise des lieu et heure de naissance de chacun de ses enfants.

Entre dix-sept et trente-huit ans, Anne Masson a donné à Jehan de Lencquesaing onze enfants, conçus tous les deux ou trois ans, desquels nous ne savons pas grand chose, tant et si bien que le cousin généalogiste Paul Denis du Péage (1874-1952) a cru à la seule survivance au-delà de l’enfance de Jean-Jacques I de Lencquesaing (1601-1662). Il n’en est rien. Marguerite meurt en 1655 âgée de soixante-quatorze ans, Jacques en 1656 à Bruxelles âgé de soixante-six ans, Marie en 1663 à Bruxelles âgée de soixante-neuf ans. Les autres enfants – Jehan (né à Bruxelles en 1583), Charles-Philippe (né à Bruxelles en 1586), Anne (née à Bruxelles en 1588), Pierre (né à Mons en 1596), Michel (né à Mons en 1599) – se dérobent en revanche totalement à notre regard.

Anne Masson a trente-six ans quand elle met au monde à Mons en juin 1601 leur avant-dernier fils, Jean-Jacques I. Jehan de Lencquesaing est alors déjà âgé de quarante-six ans. Cette onzième paternité est l’ultime trace qu’il nous laisse…

Pourquoi Jehan de Lencquesaing évoque-t-il – de surcroît en note – la naissance d’un premier enfant le 29 juin 1580 à Bruxelles après six mois de mariage sans donner aucune autre précision ? La fausse couche est l’explication la plus probable[1]. Jehan de Lencquesaing consigne aussi dans son livre de raison la date et l’heure précises de la naissance de chacun de ses enfants, sans conteste à des fins astrologiques : le XVI^e siècle est aussi celui de Nostradamus !

Les baptêmes de ses enfants sont des cérémonies sociales et Jehan de Lencquesaing ne se prive pas de solliciter dans la bonne société hennuyère comme parrains et marraines de ses enfants des personnages fastueux et éclatants, de belle noblesse, intégrant ainsi son lignage à des clientèles, faisant ainsi la démonstration du capital social qu’il a accumulé. Le parrainage et le marrainage revêtent alors en effet une dimension de protection et d’honneur[2] et sont des indices forts d’ouverture sociale. Jehan de Lencquesaing est apparemment proche d’un efficace réseau de relations et de pouvoirs. Gravitant dans l’entourage du marquis qu’il appelle « monseigneur et maître », il a sans doute profité de ses mentors pour accroître ses responsabilités et se constituer une petite fortune qui pâtit sans doute rapidement à cause des fureurs religieuses qui agitèrent le Hainaut. Son milieu est celui du haut fonctionnariat, principalement financier. Une cousine a d’ailleurs épousé un conseiller du roi et maître des comptes, Jehan Walleme. En 1597, Jehan de Lencquesaing est cité comme receveur de Baudour[3], en Hainaut. Il est receveur général du marquis d’Havré quand il rédige son livre de raison, c’est-à-dire qu’il a pour tâche administrative principale d’examiner et de clore les comptes que lui soumettent les receveurs des revenus de son maître. Veillant très consciencieusement sur sa bourse, il a toute la confiance de ce dernier, s’occupe activement de ses intérêts : gageons que faire payer régulièrement des débiteurs qui prenaient du retard dans leurs échéances et demandaient des délais devenait alors en ce temps troublé une tache peu aisée. Le cercle de sociabilité de Jehan de Lencquesaing se dessine avec la liste des parrains et marraines des enfants

[1]. Toutefois, en ce temps qui fut celui de Brantôme, dans cette cour de grands seigneurs, son mariage pourrait avoir été célébré pour maintenir l’honneur de la demoiselle.

[2]. Une demoiselle de Grienenbrouck donne ainsi son prénom à Marguerite, née le 10 septembre 1581. Charles-Philippe de Lencquesaing, né le 21 mai 1586, est porté le 24 mai suivant sur les fonts baptismaux de la part du marquis d’Havré par Marc Dentière et de la part du prince de Chimay par son écuyer Augustin de Bellabecca. Philippe de [R]odalle, seigneur de Berleghem est le parrain d’Anne de Lencquesaing, née le 1^er juin 1588 et Jacques de Landas, seigneur de [Heulles], fut celui de Pierre de Lencquesaing, né le 16 octobre 1596. Jacqueline de Lalaing, chanoinesse de l’église Sainte-Waudru et le prévôt des églises de Mons, Jean de Fournye, sont marraine et parrain de Jean-Jacques de Lencquesaing, né le 27 juin 1601.

[3]. Fonds de la famille de Lalaing, n°640. Archives générales du Royaume, Bruxelles.

Aux XIX^e et XX^e siècles, se fréquentent de temps en temps, en bons voisins, les Lencquesaing et les van Pradelles de Palmaert qui sont installés au Creusaert et à La Garenne, leurs deux châteaux d’Ebblinghem, en Flandre, à neuf kilomètres de Laprée. Ils ignorent que leurs histoires familiales respectives commencent par un ancêtre fondateur qui laisse à sa postérité un livre de raison.

Pour les Palmaert, il s’agit de Nicolas van Pradelles (Hazebrouck, 1537-Hazebrouck, 1607) qui épouse en 1564 Marie Walis (?-1597), de la paroisse voisine d’Eecke. Comme Jehan de Lencquesaing, il précise le lieu du banquet de ses noces. Il consigne comme lui les date et heure de naissance de chacun de ses enfants, précisant également l’emplacement du soleil et de la lune. Il indique comme lui les noms des parrain et marraine. Comme lui enfin, il évoque e spectaculaire de la flambée puis de la décrue des prix du blé.

Parrain et marraine offrent un cadeau à leur filleul(e) et parfois également à la mère, pièce de monnaie d’or ou d’argent (avec commission aux parents de faire fabriquer quelque objet, un coffret par exemple), coupe à boire en argent ou pot à bière, à l’occasion du baptême.

Karl-Michael Hoin, 2020.